Kupka, pionnier de l’abstraction, Grand palais, jusqu’au 30 juillet
« Abstraire, c’est éliminer ». L’aphorisme, consigné dans un manuscrit de 1930, pourrait tenir lieu de fil conducteur à la gargantuesque rétrospective consacrée au promoteur tchèque, mais francophile invétéré, de l’abstraction, Frantisek Kupka. A condition d’ajouter immédiatement cette clause indispensable : éliminer pour retrouver la totalité du monde. Car chez Kupka, esthétique rime bien avec métaphysique, sa démarche est autant une ascèse picturale qu’une entreprise philosophique : revenir aux principes de la Création, aux éléments premiers de l’univers, simples comme des idées platoniciennes. Eliminer la figure pour aller vers la forme et ses composantes pures, couleur, espace, temps, mouvement. Et c’est bien ce que donne à voir l’expo, roborative, riche de jalons de la modernité : Amorpha, Autour d’un point. Mais qui balise aussi des incursions dans des terrae incognitae de la doxa de l’histoire de l’art : qui se souvient des liens entre l’anarchisme truculent début de siècle et Kupka, qui croqua allègrement et férocement le capitalisme dans des feuilles irrévérencieuses ? Qui se rappelle ses premiers pas symbolistes, ces tableaux nimbés d’une aura de mysticisme ? Car l’oeuvre de Kupka n’est pas née ex nihilo, elle est le fruit d’un long travail d’assimilation, d’incorporation, d’une pléthore d’influences, de la caricature à la musique, du groupe de Puteaux aux réflexions sur l’architecture, de la géométrie spatiale à la fascination pour les machines, en passant par les formes organiques. Une aventure artistique qui, par son foisonnement et ses mutations, fait éclore un monde entier, immense.