Votre héroïne, Morayo, est une Nigériane de soixante-quinze ans émigrée à San Francisco. Pourquoi avoir incarné cette génération ?
D’abord car je trouve que trop peu de livres se penchent sur le point de vue d’une femme âgée. Comme le disait Toni Morrisson, il faut écrire le livre que l’on a envie de lire et qu’on ne trouve nulle part ! Par ailleurs, j’ai toujours été intéressée par la vie des immigrés qui vieillissent dans un autre pays que le leur. Aux Etats-Unis, la jeunesse est triomphante. Vieillir là-bas, c’est intégrer une marge. Parce qu’elle est âgée, Morayo appartient à deux minorités : celle des vieux, et celle des étrangers. Le Nigéria, sa chaleur, ses amis, son esprit lui manquent, mais elle ne les idéalise pas. Elle pose sur son pays d’origine un regard critique et sage, exactement d’ailleurs comme elle regarde les Etats-Unis, sa terre d’accueil.
Vous écrivez d’ailleurs beaucoup plus sur le Nigéria que sur les Etats-Unis…
Délibérément. Les Américains et les Européens écrivent beaucoup d’histoires sur l’Afrique, mais l’inverse est rarement vrai. Je voulais montrer que les Africains aussi peuvent avoir un point de vue critique sur l’Occident. Je voulais également rompre avec le cliché de l’émigrée Noire rescapée d’une vie de misère. Morayo a mené une vie aisée au Nigéria, elle faisait partie de la classe supérieure, c’est une intellectuelle, une mondaine. Elle n’est pas victime de son passé, pas plus que de son pays, même si elle sait que rien n’est simple au Nigéria. Elle a vécu dans différent endroits, elle appartient à chacun d’entre eux et échappe à cette forme de culpabilité que peuvent avoir ceux qui réussissent ailleurs. Je l’ai voulue ainsi : forte, indépendante, riche de son savoir.
Vous écrivez pour contredire des clichés ?
J’ai écrit ce livre au moment où les violences policières contre les Noirs faisaient la Une des journaux américains. J’ai beaucoup pensé à cette fragilité de la vie pour les jeunes Afro-américains. L’un de mes personnages, Toussaint, ne connaît pas le sentiment de se sentir en sécurité quand il marche dans la rue. En Amérique, aucun Noir ne connaît ce sentiment. Entre temps, Donald Trump a été élu. Cette haine, ce racisme et cette peur sont devenues encore plus évidentes. Ce président a fait remonter à la surface les problèmes qui étaient sous le tapis. Ce drame est peut-être la seule chose positive à son élection, car il est toujours plus facile de régler des problèmes évident que de s’occuper de ceux qui sont cachés. Mais je n’écris pas seulement sur la nationalité ou la couleur de peau. Tout ce qui peut nous diviser est présent dans mon livre : l’âge, le genre, la sexualité.