Ce mois-ci nous retrouvons Olivier Py en couverture, un habitué des colonnes de Transfuge. Rappelons par exemple que nous avions choisi son roman Les Parisiens comme un des meilleurs romans de la rentrée littéraire de 2016. Son actualité est triple : un livre sur Paul Claudel, dans la très belle collection « Les auteurs de ma vie » chez Buchet/Chastel, où l’on compte entre autres un Hugo par Butor, un La Fontaine par Réda, un Virgile par Giono et un Descartes par Valéry. Le principe est simple : une longue préface à propos de l’auteur choisi, et un florilège de textes soigneusement sélectionnés. On sait la passion de Py pour Claudel, certains se souviennent certainement de sa mise en scène du Soulier de satin en 2003 au Centre dramatique national d’Orléans. Claudel qui ramena Py au catholicisme. Dont il se dit l’héritier, et comme Claudel, héritier du Christ et de Rimbaud. Ils partagent un goût de la totalité, de la puissance lyrique, et du « risque de la foi » pour reprendre une formule de Py. Ils ont, tous les deux, cette appétence d’énergie spirituelle et physique. Ils sont, tous les deux, très sensibles au spectacle de « la misère d’un monde sans dieu ». Il nous explique par ailleurs dans le long entretien qu’il a eu la gentillesse de nous donner, combien dans ses trois nouvelles pièces de théâtre à paraître chez Actes Sud sous le titre Pur Présent, et qui seront jouées à Avignon, il se rapproche, lui le baroque, plutôt d’un Racine. Est-ce un moment de son processus de création ou va-t-il aller dorénavant vers une forme d’épure ? Dieu seul le sait. Et enfin, dernière actualité, une monographie très documentée lui est consacrée, Olivier Py, Planches de salut (Actes Sud).
Côté cinéma, c’est l’heure des bilans. Un bilan cannois, qui semble avoir déçu l’équipe cinéma présente sur la Croisette. Aucun de nos chouchous n’a été primé : ni Lars von Trier mis d’emblée hors compétition dont le film The House that Jack Built a été adoré ; ni Lee Chang-dong, ni Jia Zhang-ke, ni Gaspar Noé, ni Nuri Bilge Ceylan… Peu importe finalement, mais ne manquez pas à leurs sorties ces merveilleux films. Heureusement la Palme d’or est une belle palme, comme l’année précédente avec The Square, Kore-Eda signe un très beau film avec Une affaire de famille. Et notons le Prix du scénario pour une réalisatrice que nous aimons beaucoup ici, Alice Rohrwacher pour son Heureux comme Lazzaro. Attention cependant aux attrape-nigauds : Yann Gonzalez avec son film Un couteau dans le coeur, confirme qu’on peut être invité à Cannes et être un imposteur.
Côté littérature, nous vous avons sélectionné le grand livre de vos vacances, celui de Frank Witzel, Comment un adolescent maniaco-dépressif inventa la Fraction Armée Rouge au cours de l’été 1969 (Grasset). Il a obtenu pour ce livre le Deutscher Buchpreis en 2015, livre qui se concentre sur l’année 1969, année matrice qui lui permet de dresser un tableau de l’Allemagne d’après-guerre jusqu’à nos jours, avec une grande acuité et dans une forme postmoderne très réussie.
Un dernier mot, sur la mort de l’immense écrivain Philip Roth, mort que j’ai apprise ce matin, à l’heure où j’écris cet édito. Transfuge avait fait un dossier très fouillé sur lui, et sa couv, pour notre quatrième numéro, en septembre 2004.
Il alliait puissance narrative et puissance intellectuelle. Il était un des meilleurs pourfendeurs du politically correct, du progressisme béat, mais toujours dans une approche dialogique, les conceptions idéologiques s’opposant toujours et s’incarnant dans différents personnages, sans jamais qu’une conception l’emporte sur l’autre. Et qui fut meilleur que lui, pour s’attaquer comme Flaubert aux idées reçues ? Qui fut meilleur que lui pour s’attaquer à un sujet, à tous les mensonges qu’une société donnée produit sur un sujet (les femmes, le sexe, le monde universitaire, le progressisme, le judaïsme) ? Pour, tel Nietzsche, renverser les valeurs traditionnellement admises, acceptées tel quel, et finalement impensées. « Quelle dose de vérité un esprit est-il capable de supporter ? » demandait Nietzche. Dose maximale pour Philip Roth ! Un grand vitaliste vient de s’éteindre.