Ce sont deux amis d’enfance que tout semble désormais séparer. Yoav et Bnaya ont grandi ensemble dans une implantation juive en Cisjordanie. Le premier l’a quittée après l’armée, et s’est délesté de toute pratique religieuse. Il mène une vie totalement laïque à Tel Aviv, ne revenant plus qu’épisodiquement dans son ancienne communauté. Le second est devenu rabbin, et a fondé un foyer dans ces mêmes lieux où s’étaient installés ses parents, « sur les pentes arides qui descendent jusqu’à la mer morte au sud et jusqu’à l’Agglomération arabe au nord. »
Si différents que soient ces anciens amis, ils connaissent au même moment un bouleversement intérieur qui va infléchir leurs existences. Et peut-être même les faire converger. Yoav, hanté par une opération militaire ayant mal tourné, lors de son service militaire, dans un village palestinien, voit resurgir ce traumatisme lors d’une rave, sous l’effet d’un mélange de drogues. Il n’aura de cesse, dès lors, de vouloir revenir sur les lieux du drame. Bnaya, de son côté, est le témoin fortuit -et la victime collatérale- d’une flambée de violence dans l’implantation: une expédition punitive menée par un groupe de jeunes contre le président du conseil local, Noam Baum. Le gouvernement israélien ayant décrété le démantèlement de l’implantation, celui-ci, partisan d’un déménagement paisible, est en effet accusé de traîtrise par les partisans du Grand Israël, bien décidés à rester sur ce qu’ils considèrent être leur terre. Bnaya, impliqué malgré lui dans ces incidents, va devoir prendre parti. Il se trouvera mêlé, sans l’avoir cherché, à une ébauche de rapprochement avec l’agglomération arabe voisine.
Dans ce premier roman ample et beau, où alternent les chapitres consacrés à chacun des deux jeunes hommes, Yonatan Berg relate les quatre jours décisifs au terme desquels Yoav et Bnaya vont devoir faire des choix existentiels. Se confronter à la réalité ou continuer de vivre dans le déni pour le premier. Revivre, pour la énième fois, la mort de son chef militaire et celle d’un jeune Palestinien, ou se décider à tourner la page pour le deuxième. Ces dilemmes, Yonatan Berg les traite avec finesse, prenant le temps de sonder la complexité de ces personnages, mus par des croyances et des désirs souvent antagonistes. Le romancier explore avec doigté l’impact de leurs hésitations et de leurs agissements sur leur entourage proche. Contrairement aux Innocents d’Assaf Gavron, roman qui relatait avec un humour vif le quotidien d’une implantation elle aussi en passe d’être démantelée, le ton qu’emploie Berg pour rendre compte de ces tourments, symboliques de ceux qui traversent l’Israël contemporain, est grave. Mais il laisse la place à une poésie évocatrice et inspirée, surtout lorsqu’il décrit les lieux que se disputent Israéliens et Palestiniens. « Les rues de Jérusalem se déversent dans les vallées, continuent jusqu’aux villages et aux implantations alentour, bientôt elles résonneront des lamentations des chacals qui errent dans les zones frontalières, puis ce sera le désert et la mer Morte. Vaste lac sombre », écrit-il ainsi. Dans ces territoires suscitant les passions les plus folles, Yonatan Berg trace d’élégants chemins de traverse, où dialogue et apaisement semblent encore possibles.