Le musée de la Romanité, à Nîmes, nous rappelle l’éternelle jeunesse de l’Antiquité. Visite sous un soleil qui semble tout droit venu d’Italie…
« Castissimi » et « cautissimi », très religieux et très scrupuleux, c’est ainsi qu’Aulu-Gelle, ce one-man Wikipédia de l’Antiquité, qualifiait les Romains. Scrupuleux jusqu’à l’obsession : survenait-il la moindre anicroche, tout, jeux ou rites, était recommencé à l’identique. Et c’est ce sentiment que tout reprend, tout renaît, jusqu’au plus infime détail, qui nous saisit en ce jour estival, face aux arènes de Nîmes, alors qu’on déambule dans les coursives et les salles du musée de la Romanité. Oui, Rome est bien la ville éternelle, et les galbes onduleux de la façade du magnifique bâtiment d’Elizabeth de Portzamparc sont comme des vaguelettes de temps, l’éternel ressac de l’Antiquité, revenue, non seulement indemnes, mais bien vivante, sous le brasier du soleil nîmois.
On inaugure la visite avec ce qu’il y a sans doute de plus romain – les jeux de l’amphithéâtre, qu’une expo temporaire, Gladiateurs, héros du Colisée, déclare (r)ouverts. Emaillée de pièces splendides, notamment cette peinture murale qui fut préservée dans ce miraculeux conservatoire de la mémoire qu’est Pompéi et où, comme une nature morte belliqueuse, se déclinent les armes des combattants de l’arène, l’expo est d’abord un bonheur raffiné d’amateur d’art. Mais elle permet surtout, au fil des cartels, pédagogiques mais jamais encombrés de didactisme pédant, de procéder à une autre forme d’archéologie, mentale celle-ci : désenfouir les gladiateurs des sédiments fantasmatiques de nos représentations, des couches de péplums et de bandes dessinées qui en faussent et tordent l’image. Ni anomalie monstrueuse condamnée à l’envi par les contempteurs chrétiens des jeux, ni Superbowl à l’antique, les combats de gladiateurs sont d’abord un concentré des vertus et des valeurs romaines. Les origines de ces affrontements sur le sable des amphithéâtres ? Des cérémonies funéraires, qui rappellent combien les pieux fils d’Enée attachaient de soin aux cérémonials dont ils entouraient leurs défunts. Ce magnifique casque, surmonté d’une tête de Méduse ? Et bien c’est la fascination, c’est le cas de le dire, des Romains, pour le « fascinus », ce regard qui pétrifie, qui laisse interdit. Ce très beau relief, trois registres étagés verticalement, et déroulant la procession des jeux, un combat de gladiateurs et des combats d’animaux ? Il provient de la tombe d’un organisateur de jeux, et la parade qui ouvre les jeux atteste que ces derniers, pour les Romains, n’étaient pas de l’ordre du pur divertissement, mais relevaient du rite, avec des phases successives et indispensables. A tout seigneur, tout honneur, le Colisée figure en bonne place dans l’expo. La hiérarchie des rangs attribués aux spectateurs n’a rien d’anecdotique, elle matérialise cette autre obsession des Romains, celle des préséances et du statut social. Quant à la décoration, les statues en marbre de dieux et de héros qui ornent les deuxième et troisième étages de l’édifice font irrésistiblement penser à cette remarque de Tertullien dans son traité des spectacles : les lieux voués aux jeux sont saturés de religiosité, sont tout pleins de dieux et de héros divinisés. Ce qui nous rappelle que tout, à Rome, est pénétré de religion…
Un temple vivant
Mais on quitte l’arène de l’exposition pour suivre non plus un organisateur de jeux, mais Christophe Garritano, chargé de promotion du musée, qui nous initie, en cicérone familier des lieux, à ce qui est bien un temple de la romanité. A condition de préciser aussitôt que ce temple est bien vivant, vivant de cette vie qu’avaient les temples romains, intégrés à la Ville, fréquentés par tout un tout chacun et pas réservés à une seule élite de dévots. Car c’est le grand principe qui a présidé à l’élaboration du bâtiment : faire renaître la passion pour l’Antiquité, en proposant, dans les collections permanentes, un parcours chronologique et thématique à la fois ultrarigoureux et accueillant, voire ludique. Ainsi, l’appoint du numérique permet de s’immerger littéralement le quotidien du passé. On peut ainsi admirer une poignante sépulture à double inhumation, memento mori issu du fond des siècles, ou, via des images virtuelles, s’imaginer hôte d’une villa gauloise reconstituée. Car c’est l’autre objectif du musée (toujours ce tropisme romain du recommencement…) : s’inscrire dans le monde contemporain. Notre XXIe siècle. D’où le choix du projet d’Elizabeth de Portzamparc, et les lignes de son bâtiment, qui n’ont rien d’une reconstitution mais vont résolument de l’avant : la façade est un chef-d’oeuvre d’architecture contemporaine. Christophe Garritano pointe également l’organisation de l’espace, à l’extérieur. Celui-ci est distribué autour d’une rue traversante, rue qui suit le tracé du rempart ancien de la ville mais relie aussi le complexe du musée à la Nîmes d’aujourd’hui.
C’est ce même jeu de balancier entre fidélité à l’esprit romain et reformulation contemporaine, ce même travail d’interprétation (au sens où les Romains « interprétaient », par exemple, les dieux d’autres aires dans leur propre panthéon) qui est à l’oeuvre dans le jardin. Souvenir de la passion des Romains pour ces enclaves de nature au sein de l’Urbs, mais aussi jardin conçu comme un outil scientifique, archéologique, puisqu’il est organisé en strates botaniques, qui répartissent les espèces en fonction des époques. On poursuivrait ainsi volontiers longtemps, mais, non pas la brièveté de la vie chère à Sénèque mais notre train, nous impose d’écourter. En bons Romains, très scrupuleux, nous reviendrons !