C ‘est le moins qu’on puisse dire. Alors que le cinéma français peine à se renouveler (voir l’article de fond de François Bégaudeau dans les Transfuge 120 et 121 où il décrit un certain épuisement du cinéma français issu des années quatre-vingt-dix) hormis Kechiche et Campillo au plus haut de leur forme, Noé trace sa voie, sans règle ni marketing, seul au monde. Noé ne va donc pas au mariage, au contraire, mais nous mène dans un paradis des corps, de danses sublimes, qui se mue en enfer. Un enfer où une drogue versée dans la sangria de la soirée, du LSD, aura des effets dévastateurs : cheveux brûlés, enfant enfermé dans un placard électrique, autoavortement… Ceux qui ne supportent pas la brutalité de Noé détesteront le film. Ceux comme nos amis des Cahiers qui n’apprécient pas les cinéastes qui les sadisent, haïront. Il faut croire que je suis masochiste, car j’accepte d’être sadisé par Noé. Mais pourquoi accepter d’être sadisé par Noé, me direz-vous ? Pour au moins deux raisons : la première, c’est que je vois surtout dans ce film un Noé qui s’amuse, qui joue, qui se souvient des films d’horreurs visionnés dans sa jeunesse, et qu’il détourne avec malice et plaisir. Quel meilleur terrain de jeu pour un metteur en scène qu’une soirée qui dégénère ? Il multiplie les effets de caméra, façon clippeur des années quatre-vingt-dix, les couleurs criardes qui transpercent ce noir ténébreux dans lequel Noé nous invite à devenir fous comme ses personnages. Il nous rappelle sans cesse qu’il fait du cinéma, qu’on est au cinéma, que le monde est fait pour aboutir à un beau film pour détourner la fameuse phrase de Mallarmé. Voilà qui réjouit. Et puis qui d’autre que lui, documente si bien la brutalité dont notre époque est capable ? Par la nuit qu’il habite depuis trente ans, par cette soirée du film qui pourrait avoir lieu au Berghain comme il nous l’a dit, la boîte berlinoise la plus décadente du monde. Ce monde de l’électro et des drogues de synthèse qui l’accompagnent, ce monde des années quatre-vingt-dix, deux mille, ils sont si peu les cinéastes à le représenter aujourd’hui. Qu’on ne s’y trompe pas, Noé est obsédé, c’est évident dans ce film, par l’idée de documenter notre époque. Ne laisse-t-il pas parler, dans la première partie du film, assez longtemps, ces vingtenaires au langage cru, poétique et inventif (attention là Finkielkraut lève les yeux au ciel), cette langue d’aujourd’hui qu’on n’entend jamais ou presque au cinéma.
Quoi qu’il en soit, après le coup de poing que Noé m’a gentiment donné avec son film, je suis rentré chez moi heureux de m’allonger sur mon canapé en écoutant Popol Vuh.