Découverte d’une technique qui a accouché de chefs-d’oeuvre : la gravure en clair-obscur. Un enchantement d’ombres et de lumière.
La gravure, on aurait un peu tendance à la voir comme la servante, officieuse, certes, mais de basse extraction, des autres arts, plus nobles, peinture ou dessin. Premier enseignement de cette riche expo : nous interdire, à l’avenir, de cantonner la gravure à la cuisine ou dans l’arrière-boutique. La technique de la gravure en clair-obscur utilise l’impression en couleur non pas à des fins coloristes, mais selon le principe du camaïeu. Pour affiner, jusqu’à la minutie, le travail des ombres et des lumières. La technique apparaît au début du XVIe siècle et d’emblée le ton est donné : loin d’être platement ancillaire, simple véhicule d’oeuvres dont elle ne serait que la suppléante, elle est affaire de puissance. De pouvoir, au sens le plus politique du terme, même. A ma gauche, l’estampe Saint Georges et le dragon(1507), encre noire et encre d’or, d’après Cranach, réalisée pour la cour de Saxe. A ma droite, la réponse de la cour rivale d’Augsbourg, en 1508, cet Empereur Maximilien Ier à cheval, d’après Burgkmair. Assauts d’opulence visuelle, de virtuosité technique, les deux cours ferraillent par gravures interposées.
D’Allemagne, on fait route vers l’Italie. Qui rime avec Ugo da carpi. Ca tombe bien, c’est un des plus grands graveurs du siècle et le Diogèned’après Parmigianino a la force ramassée d’une sculpture, l’énergie puissante des modelés d’un Michel-Ange par exemple. Preuve en est que les ombres et les lumières de cette technique de gravure peuvent tenir la dragée haute à la sculpture. La gravure est si peu un parent pauvre que certains cumulent les deux rôles, sont à la fois concepteurs et exécuteurs. A l’image de Domenico Beccafumi et cet Apôtre saint Paul. Silhouette colossale se détachant de l’ombre, comme pour restituer saint Paul tel qu’en lui-même : un lutteur fougueux, mais l’esprit dans cette zone ombrée, perceptible ici-bas « comme dans un miroir obscur ». A ce degré de finesse psychologique et théologique, la gravure en clair-obscur sort définitivement du clair-obscur pour entrer dans la lumière des grandes oeuvres.
Si besoin était, on s’en convaincra en faisant escale à Anvers et en s’arrêtant devant Les Chasses(Joos Gietleughen, d’après Frans Floris, 1555). Comme nous l’indique Séverine Lepape, commissaire de l’expo, qui nous présente les oeuvres avec une érudition passionnée et inépuisable, les 2 ,70 m de la gravure lui donnent les dimensions d’une tapisserie. Voire d’une fresque. Majestueuse, et en majesté. Il faudrait aussi mentionner Andrea Andreani, qui n’hésite pas à « rectifier » Titien (L’Armée de Pharaon submergée par la mer Rouge), à modifier certains choix esthétiques du maître. Mais on reviendra devant le saint Paul de Beccafumi, qui n’est pas seulement l’apôtre du Christ, mais de cet art, à part entière, qu’est la gravure en clair-obscur.
Exposition Gravure en clair-obscur, Cranach, Raphaël, Rubens…, musée du Louvre, jusqu’au 14 janvier