Exposition Un rêve d’Italie : la collection du marquis Campana, musée du Louvre, jusqu’au 18 février
Giampietro Campana (1808-1880) a connu le Ciel et l’Enfer. Astre dans le ciel de l’histoire romaine : marquis, répandu dans la haute société romaine, collectionneur aussi insatiable que renommé, apôtre du Risorgimento. Puis désastre : en 1857, c’est l’ignominie d’un procès, ses pratiques financières douteuses lui valent l’exil, sa collection si choyée est vouée aux quatre vents de la dispersion. Personnage de roman, donc ? Comme une version al dente, et considérablement plus huppée, du cousin Pons ? Il y a sans doute de ça, mais à parcourir cette profuse exposition, qui déploie sa collection, en évitant le Charybde de l’accumulation chaotique et le Sylla de l’érudition vétilleusead usumdes spécialistes, on songe plutôt à un poète. Car au fil des sections qui s’articulent selon l’ordre voulu par Campana lui-même, en « classes » chronologiques et thématiques, on a plutôt l’impression de feuilleter un recueil de poèmes que de tourner les pages d’une vie romanesque. Les pièces, souvent somptueuses (le merveilleux Sarcophage des épouxde Cerveteri, la monumentale Croix peintede Giotto et son atelier, et tant d’autres), s’agencent et se combinent pour dessiner un autoportrait rêvé, diffracter une image idéale de soi, comme chez un Ronsard ou un du Bellay.
Chaque item est comme une touche de couleur, un affinement du trait, sur le visage du marquis que dessine la collection. Prenez la section des « Antiques », son goût pour les bronzes et les armes : voici notre marquis qui se projette en héros, se rêve en Hercule des collectionneurs. Mais il faut saluer le parti pris des commissaires, qui ne se cantonnent pas aux pièces les plus frappantes pour l’imaginaire. Et restituent tout le spectre de la collection du marquis, rappelant son intérêt pour la vie quotidienne des ères révolues, pour les objets mobiliers, ustensiles et accessoires, apparemment dénués de l’éclat prestigieux du fourniment belliqueux des guerriers d’antan. Comme si Campana cherchait moins à juxtaposer des oeuvres qu’à se bâtir un espace habitable, quelque chose comme une maison fantasmée où toutes les commodités seraient présentes. Jusque, par exemple, auxsignacula, ces petits anneaux qui portaient, en relief et en négatif des caractères écrits, afin d’apposer signature et cachet. Lesquels permettent d’ailleurs de modeler encore plus précisément le profil de Campana : il voyait dans ces petits sceaux rien moins qu’un prototype de l’imprimerie. C’est une des tendances dominantes de la collection : rattacher l’ancien et le moderne, établir une continuité entre le passé et l’avenir. Tels vases de verre antique seront donc les avant-courriers des réalisations magistrales des verriers de Murano, des siècles plus tard. Campana se voit ainsi : un progressiste qui ne fait pas table rase du passé, qui au contraire assimile toute la tradition, mais les yeux tournés vers l’avenir.
Car le marquis est au diapason de l’ébullition politique et intellectuelle qui enfièvre l’Italie, il a des affinités électives avec le Risorgimento, partage cette vision d’une Italie unie. Il fait même plus que la partager : il l’incarne au travers de sa collection là encore. L’autoportrait devient celui d’un Italien – d’un Italien citoyen d’une péninsule unie. Une facette qui transparaît sans doute de la façon la plus flagrante dans l’époustouflant ensemble de « primitifs italiens » constitués par Campana. Qui cherche à documenter les différents foyers de création picturale de la Botte, à donner une vision panoramique, ou kaléidoscopique. On trouve ainsi Bologne, avec cette Crucifixiondu Pseudo-Jacopino di Francesco, poignante et pittoresque à la fois, Florence, bien sûr, avec l’imposante Croix peintede Giotto et son atelier… Quaero Italiam patriam, écrivait Virgile : Campana l’a trouvée : c’est sa collection.