Dans In My Room, la fin de l’humanité a un début. Elle commence par une disparition d’images. Armin arpente les couloirs du Reichstag pour filmer des interviews mais se trompe dans l’enregistrement : il éteint la caméra au lieu de l’allumer pendant les échanges et inversement. Si bien qu’il ne reste que des instants saccadés, brinquebalés, mal filmés, tous ces moments que l’on ne voit jamais à l’écran. C’est donc avec des plans manquants qu’Ulrich Köhler démarre son très beau quatrième long métrage. Avec malice, il précise ainsi d’emblée le sort de son personnage, laissant à chaque fois les choses, les opportunités ou les personnes aimées lui échapper.
Armin traîne la grise mine d’une génération entrant dans la quarantaine après avoir accumulé les désillusions et les déceptions amoureuses. L’ordre libéral n’a plus que des miettes à donner et lui n’a plus faim de rien. Il n’y a ironiquement qu’avec ce fil dentaire qu’il passe et repasse entre ses dents qu’il trouve un semblant d’énergie. Pour ajouter de la tristesse à la stagnation, Armin s’occupe avec son père de sa grand-mère à l’agonie. Mais Köhler ne tombe pas dans le misérabilisme comme il évitera soigneusement le spectaculaire, par la suite. Il s’attache au quotidien, prend le temps d’accompagner les derniers jours de la mourante avec tendresse et empathie, de saisir l’intimité entre le père et le fils avant que chacun ne s’endorme dans le deuil.
Coupée en deux, la narration change radicalement de cap quand, un matin, Armin est le seul humain à se réveiller. Si l’élan n’est plus le même, étrangement plus solaire et vivifiant, Köhler continue de suivre au plus près l’intimité de son naufragé. Comme The Leftovers, son film ne s’encombre d’aucune explication, jouant de l’ellipse avec brio. La disparition de l’humanité n’est pas ici un sujet de deuil ou d’affliction mais plutôt l’occasion de se libérer des contraintes sociales et de partir à l’aventure. Armin pourrait aller n’importe où, sillonner le monde entier, défricher les plus belles contrées, il choisit la sédentarisation et se construit une maison dans une campagne allemande. Physiquement métamorphosé, il apparaît dorénavant svelte et musclé (saisissant Hans Löw), là où il était légèrement bedonnant et fatigué. C’est le dernier homme mais aussi le premier : il cultive un potager, élève des poules et des chèvres, se déplace à cheval. Ce retour aux sources n’est en rien un repli sur soi, c’est une attente de communauté, une ouverture au monde et à l’autre. Puisque lorsque débarque Kirsi, l’autre survivante qui refuse d’être une Ève nouvelle, on croirait qu’Armin a pensé sa ferme afin qu’elle puisse abriter leur amour naissant. Avec une réelle attention aux corps et aux bruits de la nature, rappelant le Joao Pedro Rodrigues de L’Ornithologue, la fantaisie en moins, Köhler met en scène ces lignes de fuite, dessinant le trajet intérieur d’un personnage soudainement épris de liberté et de redécouverte de soi.