C‘est en train de devenir une heureuse habitude : chaque nouvelle année s’ouvre par la découverte d’un drame français ancré socialement et qui lorgne vers le cinéma de genre. Il y a deux ans, c’était Grave de Julia Ducournau qui ouvrait le bal de façon horrifique et cannibale. L’année dernière, c’était Jusqu’à la garde de Xavier Legrand qui empruntait les sentiers du thriller. Cette année, Sébastien Marnier nous convie à un autre programme avec L’Heure de la sortie, celui du suspense polanskien. Et de fait ce long métrage s’appuie sur un canevas qui n’est pas sans rappeler celui du Locataire de 1976, d’après le roman de Roland Topor : un professeur de collège privé et très collet monté, pendant la classe, se défenestre. Il est remplacé par un suppléant joué par Laurent Lafitte, lequel découvre la classe dont il a la charge en tant que professeur principal : une petite assemblée feutrée d’élèves surdoués et aussi flippants que les mômes du Village des damnés, du Ruban Blanc de Haneke ou (mieux) des Révoltés de l’an 2000, chef-d’oeuvre du cinéma d’épouvante enfantine et espagnol, réalisé sous Franco par Narciso Ibáñez Serrador. La première scène de rencontre entre les élèves et le nouvel enseignant est un grand moment de terreur. Le pédagogue se retrouve face à des bambins aussi stoïques et sérieux que des décisionnaires d’une compagnie d’assurances. Le premier lève la main et pose sa question : « Pourquoi êtes-vous encore suppléant alors que vous avez quarante ans ? » La deuxième, plus franche encore, redouble l’angoisse, formulant l’obsession qui taraude tout enseignant : « Vous vous croyez à la hauteur ? » Dès lors, le malaise est omniprésent. Celui de la compétence professorale et adulte mise en doute, celui qui émane d’élèves qui semblent avoir une sorte de prescience sur les évènements et notamment l’avenir de l’humanité. Marnier filme sans effet baroque, sans distorsions outrées du réel. Tout est larvé dans L’Heure de la sortie. Il suffit au cinéaste de jouer avec des situations convenues à partir de son postulat : un gamin de quatorze ans se retrouve dans une boîte de nuit où sont venus s’amuser ses professeurs. Il leur parle comme à des amis puisque sa famille est propriétaire de l’établissement. Ce n’est pas tant le fait qu’il fraye avec eux qui étonne mais cette façon qu’il a de ne s’étonner de rien, d’avoir de l’avance sur eux comme s’il lisait en eux. L’élève sait tout et soudain les adultes, les professeurs, ceux qui sont censés avoir la connaissance, paraissent dépassés par les évènements. A partir de cette inversion fondamentale, Marnier réussit des prodiges. Identifiés au héros (Lafitte est formidable dans son attitude hébétée et arrogante à la fois), nous cherchons autant à savoir ce qui motive leurs actes maléfiques, leurs attitudes morbides (jeux d’étouffement et de noyade entre eux) qu’à en percer le mystère fondamental. Si le final est un peu moins bien négocié, faute peut être d’une grande séquence un peu folle, L’Heure de la sortie confirme que nous vivons de belles années de cinéma de genre français.
Le grand Marnier
Dans L'Heure de la sortie, Laurent Lafitte affronte une classe d'enfants aussi surdouée qu'inquiétante. Une nouvelle réussite du cinéma de genre à la française qui lorgne cette fois du côté de Polanski.