C’est un texte méconnu du siècle de Racine que monte Daniel Mesguich au théâtre Dejazet. Resté davantage célèbre comme personnage d’Edmond Rostand, Savinien de Cyrano de Bergerac a été un écrivain du milieu du XVIIème siècle dont les oeuvres, polémiques, à la croisée de l’Humanisme et des Lumières, ont été occultées. Parmi elles, une étrange tragédie en alexandrin, l’unique de son auteur : La Mort d’Agrippine. Elle fit scandale lors de sa création en 1653 et n’a quasiment plus été jouée depuis. Daniel Mesguich veut ainsi la réhabiliter, en la remettant dans toute sa singularité. Cette pièce met en scène plusieurs conspirations à l’égard de l’empereur romain Tibère, toutes nourries par la vengeance après la mort de Germanicus, l’époux d’Agrippine. Cette dernière est au centre des fomentations que projettent également Séjanus, ministère de l’empereur, et Livilla, soeur du défunt Germanicus. Tout y est affaire de jeux de dupes, et la parole devient le véhicule du mensonge entre les différents personnages, cachant plus qu’elle ne révèle. Cette dualité trouve sa traduction scénique dans un procédé de symétrie de la chorégraphie des corps qui interagissent entre eux et se reflètent. Les comédiens évoluent sur une scène vide, comme pour mieux souligner que seule la parole elle-même peut paradoxalement ôter toute vérité et dissimuler les intentions secrètes. En portant toute son attention sur ce texte, si surprenant et puissant, et son énonciation, la mise en scène peut toutefois avoir tendance à trop le surligner inutilement, mais n’atténue pas la qualité des interprètes.
Le spectacle voit la succession d’une suite de tableaux témoignant de l’évolution des intrigues et de la confrontation des discours portés par les personnages, ainsi que des imaginaires. Car il s’agit bien là pour Daniel Mesguich de chercher à tordre les conceptions théâtrales. Texte profondément athé, à l’image de son auteur, La Mort d’Agrippineapparait pour son metteur en scène comme une manière d’interroger le spectacle théâtral, son rapport à la croyance et ce qui le meut. Alors que les représentations sont perverties par le mensonge et sa circulation, la violence, à la fois rédemptrice et désespérée, finit par vaincre. En ça, la pièce de Cyrano de Bergerac semble faire rencontrer le théâtre élisabéthain anglais et la tragédie classique française. Ce qui en fait bien toute la nécessité de la redécouvrir.
La Mort (d’)Agrippine, texte de Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac, mis en scène Daniel Mesguich, avec Sarah Mesguich, Sterenn Guirriec, Jordane Hess, Au théâtre Dejazet, jusqu’au 20 avril.