Il fallait des images à la hauteur du texte de Martin Crimp. Des images qui nous permettent de pénétrer dans ce lieu, entre deux, qui est celui d’Into the little hill. Court opéra à deux voix, « conte lyrique » se présente-t-il, né sous la plume de l’auteur britannique, et du compositeur George Benjamin, Into the little hill est une réécriture contemporaine du Joueur de flûte de Hamelin. Jacques Osinski réussit à nous plonger dans le lieu du cauchemar qui est celui de ce conte. A donner vie à une des légendes les plus effrayantes transmises aux enfants par les frères Grimm : un musicien, trahi par la ville de Hamelin, va, à la suite des rats, attirer les enfants hors de chez eux par sa musique ensorcelante. Et les faire disparaître à jamais. Martin Crimp, dont on connaît le sens de la violence, et la critique tenue de la société contemporaine, réduit le gouvernement de la ville à une voix, celle d’un ministre, et les enfants à une figure, la fille du ministre. Et il ose replacer au centre du conte, ceux que l’on n’oublie à la lecture des Grimm : les rats. Ils sont partout : dans les cris du peuple, au début, qui demandent leur mort. Dans la supplication de la petite fille qui veut les épargner. Dans les comptes cyniques du ministre qui cherche à être réélu. Ils dansent et courent, jusqu’à prendre forme humaine dans les vidéos projetés sur scène. En parallèle, les visages des chanteuses Camille Merckx et Elise Chauvin. Elles sont tour à tour ministre, femme, joueur de flûte, véritable homme sans visage, petite fille, voix du peuple. Leurs prouesses vocales méritent d’être saluées, tant les deux femmes réussissent à passer d’un registre à l’autre, sur la partition ressérée et sobre de Benjamin.
Seuls en scène ou dans leurs duos, elles transmettent l’angoisse, la rapacité, la terreur qui hantent ce court opéra qui réussit en moins d’une heure à faire se succéder ces différentes émotions, jusqu’à l’acmé final. Le spectateur se retrouve plongé dans la tension de cette ville onirique qui rêve d’extermination. Jacques Osinski, avec sa finesse habituelle, et ce sens de l’obscurité qu’il a déjà si précisément fait valoir dans Cap au pire, de Beckett, repris à partir d’aujourd’hui à l’Athénée, dans la petite salle, réussit une nouvelle fois à transmettre la densité d’un spectacle abrupt et beau. Et la musique de Benjamin, que l’on savoure dès l’ouverture, grâce au très beau solo de flûte interprété par Claire Luquiens qui nous fait entrer dans le trouble inconscient des sociétés qui rêvent de mort.
Into the little hill, conte lyrique, musique George Benjamin, livret Martin Crimp, mise en scène Jacques Osinski, avec l’Ensemble Carabanchel