Exceptionnellement, Transfuge ne vous propose pas en couverture un écrivain de la rentrée littéraire. C’est que lorsque Jean-Paul Chaillet, correspondant à Los Angeles pour Transfuge, nous a prévenus qu’il pouvait s’entretenir près d’une heure avec Quentin Tarantino, il est apparu qu’il s’agissait d’une bénédiction qu’il ne fallait pas négliger. Nous avons donc décidé de le rencontrer, ce qui fut fait au Four Seasons, à Beverly Hills, un vendredi 12 juillet dans l’après-midi. Son film, Once Upon a Time… in Hollywood a été salué par l’ensemble de l’équipe ciné de Transfuge, un film en relative rupture avec ses précédents, moins hystérique, d’un rythme plus lent, plus proche de celui de Scorsese. Tarantino s’est mis à nu pour nous, sa vie personnelle, ses goûts de cinéma, et s’est étendu longuement sur son dernier film.
Il n’en demeure pas moins que nous avons couvert au mieux la rentrée littéraire. Il était difficile de ne pas ouvrir cette saison par le remarquable Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale signé Charles Dantzig, la littérature étrangère ayant toujours chez nous tenu le haut du pavé. Passionnés de littératures étrangères, ce livre est écrit pour vous. De la littérature antique à la littérature américaine, de poètes, de romanciers, d’essayistes à grande réputation à des auteurs mineurs, oubliés et inconnus, le livre médite, divague, digresse sur ce continent littéraire avec allégresse. Je ne dirais qu’un mot de la littérature française qui une fois encore, dans l’ensemble, a plutôt déçu. Une fois encore, les médias, pour des raisons commerciales et de jeu des prix, encenseront des livres médiocres comme celui de Monica Sabolo. Une fois encore, le chauvinisme littéraire opérera en cette rentrée, au détriment de la littérature de qualité, au détriment de l’époque de plus en plus cosmopolite dans laquelle nous évoluons.
Heureusement, pas de patriotisme en théâtre et en danse, deux domaines qui depuis longtemps se sont ouverts sur le monde. Nous avons rencontré à Avignon un des plus grands chorégraphes d’aujourd’hui, Akram Khan. Il fallait voir la foule électrisée dans le Palais des papes, pour assister à Outwitting the Devil, avec ces danseurs exceptionnels qui mélangèrent danses traditionnelles indiennes et danse contemporaine, mythes et histoire contemporaine. Au coeur du spectacle, une vision apocalyptique de notre époque. Qu’avons-nous fait de notre planète, pauvres diables que nous sommes ?
Il s’agira aussi de notre planète côté art contemporain, à travers l’exposition de la Fondation Cartier, Nous, les arbres. La Fondation s’engage sur le terrain de l’écologie, à travers des artistes, des scientifiques, des philosophes du monde entier. Comme nous l’apprend Alain Corbin dans son livre, La douceur de l’ombre, l’arbre depuis l’antiquité est source de représentations et de pensées, de Pline l’Ancien à Jean-Paul Sartre. L’anthropocentrisme, lié à l’humanisme, avait eu tendance à minorer la place capitale que la végétation- dont l’arbre est un des emblèmes les plus marquants- occupe sur notre planète. L’exposition rend grâce à ces arbres, qui posent ces questions si fondamentales, de l’éphémère et du durable. Car en effet, quel meilleur témoin que lui, du temps qui passe. Chateaubriand était fasciné par sa « vieillesse originaire ».
Pour finir, et pour bien commencer cette rentrée, j’aimerais vous faire part de ce texte qui attirait mon attention il y a quelques semaines. Quand on apprécie l’art comme on l’apprécie à Transfuge, on se demande parfois pourquoi on en a tant besoin. Pourquoi on y passe tant de temps, au lieu de faire autre chose. C’est que, comme l’écrit Freud, il y a quelque chose de très profond dans le lien que nous entretenons avec lui, ce lien viscéral. Ecoutons-le :
« Nous sommes amenés tout naturellement à chercher dans le monde de la fiction, dans la littérature, le théâtre, le cinéma, ce que nous sommes obligés de nous refuser dans la vie réelle. Nous y trouvons encore des hommes qui savent mourir et s’entendent à faire mourir les autres. Là seulement se trouve remplie la condition à la faveur de laquelle nous pourrions nous réconcilier avec la mort. Cette réconciliation, en effet, ne serait possible que si nous réussissions à nous pénétrer de la conviction que, quelles que soient les vicissitudes de la vie, nous continuerons toujours à vivre, mais d’une vie qui serait à l’abri de toute atteinte. Il est en effet trop triste de savoir que la vie ressemble à un jeu d’échecs où une seule fausse démarche peut nous obliger à renoncer à la partie, avec cette aggravation que, dans la vie, nous ne pouvons même pas compter sur une partie de revanche. Mais dans le domaine de la fiction, nous trouvons cette multiplicité de vie dont nous avons besoin. Nous nous identifions avec un héros dans sa mort, et cependant nous lui survivons, tout prêts à mourir aussi inoffensivement une autre fois avec un autre héros. »