Le temps. Le mot est d’emblée lâché par Stéphane Guégan, co-commissaire aux côtés de Danièle Devynck, dès nos premiers pas dans l’antichambre de l’expo. Le temps, d’abord, qu’il faut prendre pour arpenter cette succession de chefs-d’oeuvre, vertigineuse comme les tournoiements de La Goulue, riche comme la matière « plate » (Danièle Devynck) du peintre, terriblement sensuelle et pourtant fruit d’une intense méditation esthétique. Toulouse-Lautrec, de ses débuts sous l’égide de Cormon, aux côtés de van Gogh, à la fin de sa si brève vie (le temps, encore…) a en effet tout absorbé, japonisme, synthétisme, tout digéré sans jamais compromettre sa personnalité propre : celle d’un grand artiste, sûr de ses moyens, héraut de la modernité, reconnu comme tel par les regards les plus aiguisés de l’époque, les Fénéon et autres Natanson. Oui, il est plus que temps de sortir Toulouse-Lautrec du purgatoire des chromos du Paris olé-olé. Temps de revoir ses affiches pour ce qu’elles sont : des oeuvres à part entière, dont les choix esthétiques, cadrages, éclairages, sont d’une infatigable inventivité. Temps de revoir ses intérieurs de maisons closes, ses scènes de bal, avec l’oeil qu’il avait : séduit mais lucide, ni béatement émoustillé, ni père la vertu. Mais seulement, et éminemment, peintre : proche jusqu’à l’intimité de ses sujets, mais capable de les décomposer en lignes, zones colorées (tel cet enduit verdâtre qu’applique l’éclairage électrique sur tel visage). Toulouse-Lautrec, peintre de la vitesse des corps en mouvement, est allé tellement vite qu’il nous rejoint, aujourd’hui, en 2019.
Exposition Toulouse-Lautrec. Résolument moderne Grand Palais, du 9 octobre au 27 janvier