Merce Cunningham est à l’honneur cet automne à Paris…
En effet, nous avons décidé de réunir nos forces avec un ensemble de partenaires, dont le Théâtre de la Ville, autour du Festival d’Automne, pour présenter au public des visions de son travail sur plus de cinquante ans de création. Il s’agit de montrer la place qu’il occupe (il m’est difficile de parler de lui au passé) dans l’art contemporain. Tout cela dépasse largement le champ chorégraphique, sachant qu’il a collaboré avec John Cage, Andy Warhol…
À Chaillot, on pourra voir deux programmes assez différents…
Le premier sera porté par une compagnie constituée, le Ballet de Lorraine, qui a l’habitude du travail de Cunningham, puisque ses pièces sont au répertoire depuis de très nombreuses années (Didier Deschamps en a été le directeur de 2000 à 2011 ndlr). Parmi les trois pièces données, For four Walls est un cas très intéressant car elle n’a été faite qu’une fois lors de sa création en 1944. Thomas Caley, qui fut lui-même un grand danseur de Cunningham, et Petter Jacobsson, directeur actuel du Ballet de Lorraine, vont en proposer une recréation, qui ne sera en rien un remontage.
Dans le deuxième programme, il y aura trois ballets réunis : quelle affiche !
Oui, c’est un programme exceptionnel qui montrera un aspect plus méconnu du travail de Cunningham. Il ne s’est jamais désintéressé du ballet, dont il a d’ailleurs intégré des éléments dans sa danse, et il a travaillé avec les grandes compagnies. Ici, il y aura trois des plus grands ballets européens : The Royal Ballet, Opera Ballet Vlaanderen et le Ballet de l’Opéra de Paris.
Qu’exige Merce Cunningham des danseurs ?
Une très grande virtuosité ! Sa danse demande une maîtrise absolue de l’espace et du temps, maîtrise individuelle et collective qui nécessite une notion fine de la durée. D’ailleurs ,Merce travaillait au chronomètre ! De plus, sa danse demande une indépendance et une coordination incroyables de chaque partie du corps. Lorsque la maîtrise est là, quelque chose de très poétique se dégage – avec un grain de folie. Ce qui l’intéressait comme chorégraphe ce n’était pas la réussite mais la confrontation avec un défi qu’il posait à ses danseurs. Au fond, comme le dit Spinoza, « Nul ne sait ce que peut le corps » !
Il y a un avant et un après Cunningham ?
Absolument. Il s’est libéré de liens étroits avec la musique et il s’est exonéré de toute nécessité narrative. Il a réalisé une forte émancipation de la danse équivalente en peinture au passage du réalisme à l’abstraction. De plus il a vécu complètement ancré dans son temps sans jamais devenir prisonnier des modes de son époque. Il n’a cessé de se poser des défis, par exemple dans son usage des outils informatiques, aussi bien pour la notation que pour la composition. Cet outil venait correspondre à son corps vieillissant et ouvrir de nouvelles brèches, des nouvelles perspectives. De nos jours Cunningham reste une référence très grande. On le voit de manière plus ou moins directe chez Preljocaj, Forsythe ou Noé Soulier.
Vous avez vous-même dansé avec Cunningham. Quel homme était-il ?
Merce était un homme très exigeant mais très doux et respectueux, comme Cage d’ailleurs. On a pu parfois avoir l’impression qu’il s’agissait de personnes froides et distantes. En fait, il avait un respect total de ses danseurs et établissait avec eux un rapport qui n’était pas autoritaire, au sens d’abus de pouvoir. Une manière de faire dont beaucoup devraient s’inspirer !