On pense à beaucoup de choses en s’arrêtant devant les grandes toiles d’Ali Banisadr (né en 1976), avec leur brassage tumultueux de formes et de couleurs. On pense aux bleus de Picasso, aux linéaments tremblés des futuristes et des constructivistes, qui invitaient ainsi la vitesse dans la peinture, à ces courbures de la topographie vues chez Malevitch… Mouvement incessant, infini, de la pensée. Rien d’étonnant : Ali Banisadr est un peintre du mouvement. De ce mouvement sanglant, confus, qu’est la guerre : ses toiles font apparaître un remuement confus de formes (organes ? monstres ? silhouettes humaines ?) sous des glacis de bleu, et c’est l’éternelle répétition de la boucherie au grand air qui se rejoue sous nos yeux. Une répétition dont le sentiment provient essentiellement de la rigueur des compositions, de leur organisation savamment agencée (parallélisme des diagonales, séparation des registres), comme si un même schéma était inlassablement repris. Pour servir de cadre à l’informe : Bosch n’est pas loin, et le mouvement devient celui des sens et de l’esprit du spectateur, emportés sur le carrousel d’un irrésistible vertige, d’une terrifiante fantasmagorie. Mais Ali Banisadr n’est pas un reporter de guerre, et pas seulement un héritier, même brillant, de la grande peinture d’Histoire. Ce qui l’intéresse, c’est ce mouvement intime de la substance qui pousse les formes à muter, à se transformer ; qui anime aussi les couleurs : ses bleus, jamais uniformes, se teignent ainsi de blancheur. Tout se meut, évolue, naît et renaît sans cesse. La guerre est le père de toutes choses disait Héraclite, et Ali Banisadr semble reprendre à son compte cet antique aphorisme…
Exposition Ali Banisadr, Ordered Disorders, galerie Thaddaeus Ropac, Paris Marais, jusqu’au 16 novembre