Commissaire d’exposition indépendant, directeur artistique du futur village olympique et président du jury Audi talents, Gaël Charbau revient sur une sélection primant des projets au caractère innovant, mêlant arts visuels et nouvelles technologies.
Comment vous êtes-vous retrouvé dans l’aventure Audi Talents ?
C’était il y a sept ans pour un programme qui n’était pas évident : il s’agissait de monter une exposition avec certains des lauréats des années précédentes et de conjuguer art et design. Audi nous avait contacté Amélie du Passage, la fondatrice et créatrice de Petite Friture, et moi-même. Nous avons proposé un projet d’exposition collective sur le toit de la Cité Radieuse à Marseille que nous avons appelée « Résidence Secondaire ». Ma collaboration avec Audi a commencé comme ça.
Quelles sont les contraintes de collaborer artistiquement avec un constructeur automobile ?
Il n’y en pas, j’ai une totale liberté d’agir. J’essaie toujours d’introduire dans mes projets beaucoup de narration, presque de la littérature. Je m’entends très bien avec les équipes du programme Audi qui me font une totale confiance.
Quelle sensibilité pensez-vous apporter au sein de Audi Talents ?
Ma voix ! ( Rire) Plus sérieusement, je dirais que j’essaie de rendre de la cohérence dans des choix parfois très différents. Je suis là pour défendre une certaine idée de l’art vécu comme une forme de résistance, comme quelque chose puisant dans l’inattendu, qui ne soit au premier abord pas crédible dans un monde de prédiction généralisée, notamment dans les nouvelles technologies. L’art, c’est le grain de sable qui va casser la machine et aller là où ne l’attend pas. Jean-François Lyotard disait cette chose assez belle : une oeuvre doit être post-moderne avant d’être moderne. Je suis assez d’accord : l’oeuvre doit dépasser la modernité pour pouvoir entrer ensuite dans les canons de la modernité.
L’art doit donc inventer ses propres règles du jeu ?
Exactement. Si une oeuvre répond à des règles du jeu préétablies, cela ne sera jamais autre chose qu’une oeuvre canonique et consensuelle. Si au contraire une oeuvre se juge à l’aune de ses propres règles du jeu, ça devient beaucoup plus intéressant. Une oeuvre originale doit toujours se situer un cran au-dessus de ce que l’on pense en attendre. Je garde toujours à l’esprit cela en tant que commissaire. C’est peut-être ce regard-là qui plait à Audi. Comment dire le mieux possible le travail des uns et des autres, par quelle porte faire rentrer le spectateur dans des supports non définis : il y a toujours chez moi la question de la prise de risque et ce qui en découle : envisager si ça restera ou pas.
Dernière question : la présentation est titrée « Peut-on lire l’avenir dans l’art ? Je vous retourne la question : quel avenir pour l’art ?
Je ne suis pas certain que dans cinquante ans les artistes penseront leurs oeuvres en fonction des circuits de galeries et de musées. Je les vois plutôt se fondant dans le quotidien et je l’espère d’ailleurs. Je crois que les artistes vont infuser dans les entreprises, dans l’enseignement, dans les jeux vidéo. Ce sont des types de perspectives qui me réjouissent. La forme muséale un peu lourde va se trouver sérieusement bousculée par la spontanéité d’un art en devenir. L’avenir de l’art passe par une forme de dissidence intellectuelle qui va se glisser dans le quotidien, et nous donner à vivre dans une sorte réalité augmentée.
Audi Talents 2019
Au programme : fitness critique, hip-hop reformulé et fête bionique
Quel est le point commun entre un accessoire de fitness, une battle de hip-hop et une nuit festive? En apparence pas grand-chose, quoique… tous les trois sont reliés à notre époque, à ses questionnements, ses malaises, ses rêves et ses critiques. Et tous les trois sont les fruits de réflexions critiques mais aussi ludiques et oniriques des trois lauréats Audi Talents 2019.
De très jeunes lauréats aux formations de designers mais ayant fait un pas de côté par rapport à ce que l’on attend en principe, du design. Cette singularité de créativité alliée à une grande fraîcheur des travaux présentés correspond bien, selon Lahouari Bennaoum, directeur d’Audi France à la philosophie maison : « soutenir les artistes proposant une vision avant-gardiste du monde de demain, que ce soit dans le sujet abordé ou les techniques utilisées. Cela fait treize ans que nous soutenons de jeunes talents dans de nombreux domaines, arts plastiques, design et arts appliqués, musique et image, arts numériques, productions audiovisuelles, en leur offrant les moyens d’exposer leur projet inédit. Ce qui nous importe avant tout : des projets innovants, mêlant arts visuels et nouvelles technologies »
Une approche qui correspond bien aux trois lauréats Audi talents cuvée 2019, Camille Ménard, Teddy Sanches et Roman Weill. La collection des Self Esteem Shapers de Camille Menard reformule les accessoires de fitness afin de souligner leurs côtés narcissiques et aliénants. Camille Ménard aspire, par une certaine forme de dérision, à « promouvoir un design d’un genre nouveau, vecteur d’émancipation, afin de supplanter celui qui sature le marché sans posture critique. »
Marier design et danse hip-hop ? C’est l’idée de Teddy Sanches qui a donné naissance au projet Envahisseurs Battle. Ce jeune designer questionne la forme de la battle, en se replongeant dans ses origines, celles du Bronx des années 1970 et en questionnant la symbolique du cercle dans le hip-hop. Roman Weil, lui, propose avec Experimental Party Unit (E.P.U), un espace composé de dispositifs lumineux et sonores impliquant le corps et ses sens, entre design industriel, expérience spatiale et sonore, technicité et plasticité…
Ces trois lauréats exposeront l’aboutissement de leurs trois projets dans le cadre de l’exposition UNDOMESTIC, du 16 au 19 avril 2020 au Palais de Tokyo.