Il n’était pas si vieux, 70 ans seulement, mais il n’écrira plus de romans d’amour. Luis Sepulveda, l’infatigable porte-parole des « perdants », avait la baraka des vieux lions, des vieux lutteurs aux convictions robustes, inébranlables : membre des Jeunesses communistes dans les années soixante-dix, le Chilien n’avait-il pas pu quitter son pays et les geôles de Pinochet ? Mais, triste ironie du sort, ce ne sont pas les adversaires politiques de l’inlassable militant de gauche, du héraut des droits des communautés indigènes d’Amérique du Sud, de l’écolo convaincu, qui auront eu raison de lui. Mais un bête virus, ce qu’il y a de plus dépolitisé au monde…
C’est la fin, donc, d’une histoire d’amour. Histoire d’amour avec ses lecteurs, qui ont toujours fait un beau succès à ses livres. Histoire d’amour, en France, avec une maison, Métailié, qui publie tous ses livres. Mais, surtout, histoire d’amour, au sens le plus large du terme, avec tous ceux qui ont maille à partir avec l’iniquité, avec toutes les formes d’oppression. Le Vieux qui lisait des romans d’amour est un plaidoyer pour les Indiens Shuar, Le Monde du bout du monde prend fait et cause pour les baleines et l’écologie, Hot Line s’en prend aux brutalités de l’armée au Chili. Car, amoureux des losers de l’Histoire, Sepulveda, élevé à la rude école de la contestation politique en Amérique du Sud, sait aussi être sévère, impitoyable même, envers tous ceux qui bafouent les libertés. Témoin cette Folie de Pinochet , recueil d’articles qui rappellent que le Chilien fut aussi un grand journaliste de combat. Et si le Coronavirus l’a vaincu, ses livres, eux, résistent toujours…