Quelle désolante soirée ! Désolante et même, à certains moments, ignoble. Quand ? Eh bien dès le début quand Florence Foresti, manifestement ignorante de la présomption d’innocence et du caractère faussé (et en partie illégal) de la procédure juridique pendant l’affaire Geimer, prend une initiative consternante : transformer cette cérémonie des Césars en événement anti-Polanski. Elle enfile les blagues vulgaires et outrancières, apparemment certaine d’entraîner la salle avec elle, de lâcher la meute. Ca marche avec une partie du public mais – heureusement – pas avec tout le monde.
Mais comment expliquer que personne n’ait protesté quand cette « humoriste » décrit un film sur l’affaire Dreyfus comme « un film des années 1970 sur la pédophilie » bafouant ainsi la mémoire des victimes de l’antisémitisme ? Comment comprendre que personne n’eut le courage de regretter l’absence de tous les nommés (techniciens, acteurs, producteurs) de J’accuse, absence qui traduit le climat de terreur (je pèse mes mots) qu’ont instauré les militants anti-Polanski ? Comment accepter qu’un homme d’Etat (Franck Riester, le ministre de la Culture) se prononce sur le bienfondé des choix artistiques d’un jury ? Cela était complètement inimaginable il y a deux ou trois ans. C’est dire la virulence inquiétante de la chasse aux sorcières que certains voudraient voir conduire aujourd’hui…
Ca fait froid dans le dos. Et ça continue, encore et encore. Chacun, ou presque, y va de sa tirade sur le droit des femmes et la détestable domination masculine. Cela saute aux yeux : certaines « féministes » ont choisi l’occasion pour déclarer la guerre aux hommes. Comme si le féminisme gagnerait contre les hommes et pas avec eux ! Comme si hommes et femmes ne partageaient pas une même humanité ! Et ça continue : Foresti s’enfonce dans l’ignominie avec un sketch stupidissime sur les « hommes qui enlèvent leur peignoir ». On touche le fond. Ou presque : c’est maintenant Adèle Haenel qui fait sa diva, quittant la salle avec grand fracas quand le César de la meilleur réalisation est attribué à Polanski. Elle n’aura pas supporté que la véritable cabbale que depuis plusieurs mois elle mène, en France et à l’étranger, contre le cinéaste – avec la complicité de l’universitaire Iris Brey et d’une partie de la critique hexagonale – échoue en partie ce soir.
Pour notre part, nous nous réjouissons que l’Académie ne se soit pas laissé intimider et ait eu le courage de récompenser à trois reprises ce grand film qu’est J’accuse. Et nous nous retrouvons dans les propos courageux de Fanny Ardant : « je suivrais quelqu’un jusqu’à la guillotine, je n’aime pas la condamnation ».
On aurait pu se réjouir que le palmarès soit dans l’ensemble assez équilibré, que certaines interventions furent drôles ou dignes (comme celles d’Emmanuelle Devos et de Mathieu Kassovitz ) et même, parfois, émouvantes et inspirées. Comme celle d’Anais Demoustier et de Roschdy Zem récompensé pour sa magnifique prestation dans le très beau Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin. Ou encore celle de Ladj Ly affirmant que « l’ennemi c’est pas l’Autre, c’est la misère ». Mais hélas, au-delà même de l’émergence d’un néo-féminisme radical et fanatisé, la soirée entière fut placée sous le signe d’un communautarisme agressif, chacun (ou presque) choisissant de se faire le porte-voix d’une minorité victime (par exemple l’intervention d’Aissa Maiga identifiant explicitement « minorité » et « victime »).
Une soirée symptomatique d’un moment historique où les « identités » se replient, se dressent les unes contre les autres comme s’il n’y avait plus d’ « en commun ». Comme si nous ne partagions plus des valeurs universelles. Inquiétante époque ! Oui inquiétante : je me répète mais quand nombreux sont ceux qui sur les réseaux sociaux saluent (jusqu’à en faire « une héroine » !) la prestation d’une animatrice qui osa présenter un film sur l’affaire Dreyfus comme un « film des années 70 sur la pédophilie », il y a sérieusement de quoi s’inquiéter.